Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé

Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo : De l’opposition frontale à la collaboration contrainte ?

Il arrive souvent de passer à côté d’amitiés précieuses et d’alliances qui auraient pu être décisives. De même, il n’est pas rare de s’engager dans des inimitiés infondées ou de se tromper d’adversaire. Ces situations tiennent moins à la volonté individuelle qu’à des calculs sordides, des jeux d’intérêts, des manipulations savantes, des intrigues diffuses, des manœuvres dilatoires et des sournoiseries insoupçonnables de la part de ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ne pensent qu’à leur propre sort et restent désespérément attachés à de fausses convictions et à des clichés absurdes.

Ayant eu la chance de côtoyer le professeur Alpha Condé et de bénéficier par moments de sa confiance, ainsi que d’avoir développé des relations personnelles avec Cellou Dalein Diallo, accédant parfois à ses confidences, je ne crois pas me tromper en affirmant que, malgré l’image d’une confrontation politique sans merci, les deux hommes n’éprouvent paradoxalement aucune aversion l’un pour l’autre. On pourrait même évoquer un dépit amoureux. Le président de la République fut agacé par un opposant menaçant ; l’opposant, quant à lui, souffrit d’un chef de l’État qui privilégia le bâton à la carotte, convaincu que Cellou Dalein Diallo était un adversaire à neutraliser plutôt qu’un partenaire potentiel. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.

arouche opposant au Général Lansana Conté, que celui qui deviendra le Président de l’UFDG servait avec dévouement et loyauté comme ministre influent, le Président du RPG d’alors ne voyait pas d’inconvénient à ce que je fréquente une haute personnalité du pouvoir. Pourtant, le Président Alpha Condé a toujours été exigeant dans ses amitiés et méfiant envers ceux qui flirtaient avec le camp opposé, même s’il se garde de paraître intolérant et de se montrer exclusif.
Quant à Cellou Dalein Diallo, qui parlait de l’opposant comme d’un ami proche à moi, il ne m’a jamais jugé pour mes fréquentations politiques. Il a surtout assumé, même si cela fut parfois coûteux pour chacun d’entre nous, sa relation privilégiée avec le journaliste, considéré comme trop critique et iconoclaste que j’étais à cette époque. Cela montre que le Président Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo sont tous deux capables de prendre de la hauteur et sont naturellement portés à faire des concessions.

Pourtant, ces deux figures dominantes de l’histoire politique du pays n’ont pas réussi, pendant onze ans, à instaurer une cohabitation pacifique ni à conclure un « pacte de non-agression » qui aurait changé tant de choses et évité bien des drames. On ne peut refaire l’histoire, mais on peut en tirer des leçons. Même si cela semble encore impossible pour ceux que les passions, les egos et les rancœurs aveuglent, oubliant que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

Certains affirmeront que l’animosité a été nourrie et entretenue par l’entourage et les alliés politiques du président Alpha Condé, qui y trouvaient un intérêt personnel ; d’autres stigmatiseront les proches et militants du président de l’UFDG, accusés d’avoir confondu compromis et compromission. Quoi qu’il en soit, il n’y a jamais eu de trêve durable ni de véritable rapprochement, toutes ces années ayant été consumées dans une épreuve de force violente.

EXORCISER LES DÉMONS DU PASSÉ ?

Aujourd’hui encore, les préjugés persistent et les rancunes sont tenaces, comme si le temps n’avait pas accompli son œuvre et comme si les erreurs commises par tous n’étaient pas suffisantes pour servir de leçon.
Pourtant, tout avait si bien commencé, laissant entrevoir, sinon une alliance politique, du moins des relations cordiales et apaisées.
À l’époque où la Guinée découvrait à peine la téléphonie mobile et où il était extrêmement difficile de se procurer une carte SIM, le président du RPG n’hésita pas à demander à Cellou Dalein, alors ministre des Télécommunications, de lui en trouver une. Ils se connaissaient à peine et n’étaient pas proches. Au-delà du besoin pressant, cette démarche singulière était sans doute une manière d’envoyer un message de fraternité et d’apaisement à un ministre du camp opposé.

Une autre fresque d’histoire illustrant l’empathie que le Président de l’UFDG a eue pour le professeur Alpha Condé alors que rien ne l’y obligeait, en tant que ministre d’un homme qui en faisait sa bête noire, est très révélatrice : Cellou Dalein Diallo m’invita ce jour-là à me rendre à sa résidence officielle, en toute urgence, sans plus de détails. C’était en début de soirée. Dans un entretien qui eut lieu dans son salon, sans témoin, il tint ces propos sous le sceau du secret d’État : « Je sais que tu es proche de Alpha Condé et que tu t’es toujours montré préoccupé par son sort. Je t’apprends que j’ai obtenu du Président Lansana Conté de le sortir de prison, en lui accordant une grâce présidentielle. Devant moi, il a appelé le ministre de la Justice, Abou Camara, pour lui intimer l’ordre de préparer le décret de grâce. À tout moment, poursuivit-il, l’acte peut tomber. Je t’en donne la primeur. S’il te plaît, n’en parle à personne parce que je ne cherche ni publicité personnelle ni à faire de l’honneur que le Président vient de me faire un motif de fierté et d’orgueil. »
Cellou Dalein Diallo fut ensuite plus explicite : « Il n’y avait que le Président et moi, face à face, pendant tout le temps que notre entretien a duré. J’ai développé des arguments qui ont emporté son adhésion. J’ai expliqué au Général Lansana Conté qu’il est sorti victorieux de la guerre féroce qui l’a opposé au Président libérien Charles Taylor. Un succès militaire qui a un retentissement diplomatique car nous avons bénéficié d’un soutien stratégique et opérationnel des États-Unis. Désigné par lui comme envoyé spécial auprès du partenaire américain, j’étais en mesure de lui dire que sa voix compte et que la Guinée qu’il dirige a retrouvé sa place dans le concert des nations respectées et courtisées. Le seul bémol dans le tableau était l’emprisonnement prolongé de son opposant Alpha Condé, dont la libération est chaque fois réclamée et revient dans tous les échanges. J’ai fait comprendre au Général que c’est au moment où tous les clignotants sont au vert qu’il faut lever cette hypothèque et envoyer un signal fort à l’opinion nationale et internationale. Une libération du Professeur Alpha Condé serait la cerise sur le gâteau. J’ai eu gain de cause. Ton ami va être libre. J’ai tenu à te le dire de vive voix et en toute discrétion, par amitié pour toi, parce que je sais aussi que je peux te faire confiance », avait ajouté le proche collaborateur du Général Lansana Conté, l’air soulagé de voir le pays enfin libéré d’un boulet qu’il traînait.
J’étais heureux d’apprendre cette bonne nouvelle, bien entendu, que je n’ai partagée avec personne, comme je m’y étais engagé.

Des années après, à Ouagadougou, dans la capitale burkinabè, au cours des tractations qui avaient suivi les événements douloureux du 28 septembre 2009 en vue de remettre la transition politique sur les rails, le Président Alpha Condé, qui avait dû partir avant l’heure, avait donné mandat au Président de l’UFDG, parmi les acteurs politiques présents dont certains lui étaient plus proches et familiers, de le représenter avec pleins pouvoirs. Ce n’était pas anecdotique, encore moins le fruit du hasard, de la part d’un homme très regardant et précautionneux, qui a toujours su ce que peut coûter l’imprudence, à quoi peut exposer le risque. La seule fois où il a vraiment baissé la garde et relâché la vigilance, il en a payé un lourd tribut. Mais ça, c’est une autre histoire…
Avant, pendant et après les années de pouvoir de l’un et d’opposition de l’autre, le Président Alpha Condé et l’ancien Premier ministre et Président de l’UFDG, El hadj Cellou Dalein Diallo, ont eu des relations en dents de scie : parfois apaisées, la plupart du temps distantes et tendues, en raison de certains enjeux politiques, de considérations parfois irrationnelles, et par le fait des hommes aussi.

Aujourd’hui, alors que le professeur Alpha Condé n’est plus confronté à l’hypocrisie, à la démagogie et aux intrigues du pouvoir, et que le président de l’UFDG fait face à de nouvelles réalités du combat politique et aux éternels aléas de la conquête du pouvoir, les barrières d’autrefois sont tombées. Reste à sceller une paix définitive, en soldant les vieux comptes, en exorcisant les démons du passé et en préparant ensemble l’avenir. Aucune rancune ne doit surpasser l’espérance.

Tibou Kamara